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Un thé avec l’histoire au lac Louise

Rédigé par Ugo Monticone | May 5, 2021 4:00:00 AM

Je roule dans le parc national de Banff sur une route que les cartes appellent la « 1-A ». Mais elle porte aussi le nom de « Great Divide ». C’est la ligne de partage des eaux. Les gouttes de pluie qui tombent à ma gauche feront leur chemin jusqu’à l’océan Atlantique. Celles qui tombent à ma droite se rendront jusqu’au Pacifique. Un simple coup de vent de dernière seconde peut changer du tout au tout leur destin, décider des milliers de kilomètres qu’elles devront parcourir.

Pourtant, peu importe où elles aboutiront, elles vont apporter la vie et remplir leur rôle dans la grande roue du destin. Quelque chose en moi s’apaise à cette pensée. L’idée qu’il n’est pas nécessaire de planifier et de placer notre espoir sur quelque chose d’aussi incertain que le futur.

Seul le présent importe.

Et je me trouve dans un présent assez merveilleux, merci. Autour de moi, les Rocheuses se dressent, immenses et éternelles. Une pancarte indique « lac Louise » droit devant. Pour me prouver que la vie est parfaite, la pluie cesse au même moment.

Entouré d’immenses glaciers, le lac turquoise semble fluorescent. Plus de deux kilomètres de long, à 1700 mètres d’altitude, tout du lac Louise semble irréel. En arrière-plan, les falaises escarpées portent sur leurs épaules des masses d’eau gelée. Je comprends pourquoi il y a plus de cent ans, des explorateurs du Canadien Pacifique ont décrit ce lieu avec tant de qualificatifs que leur patron est venu lui-même y ouvrir le Château Lake Louise, devenu depuis patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ces explorateurs ont été lancés comme des chiens de chasse pour découvrir une faille dans l’épine dorsale du continent nord-américain, les Rocheuses. La course était lancée pour trouver un passage qui permettrait au train de voyager d’un océan à l’autre, et d’ainsi annexer l’Ouest au Canada plutôt qu’aux États-Unis qui en avaient faim.

J’imagine être l’explorateur blanc qui a vu pour la première fois ce lac en 1882, guidé par des autochtones de la nation Nakoda. Véritable joyau encadré par des glaciers étincelants, ce lac est devenu l’un des paysages de montagnes les plus célèbres au monde. Aujourd’hui, c’est moi qui viens l’admirer. Hier, c’était Alfred Hitchcock, Marilyn Monroe, Henry Ford, Teddy Roosevelt, la reine Elizabeth II… et mon oncle Jacques (c’est mon parrain alors ça compte).

Bien sûr, le site attire aussi sa horde de touristes qui désirent s’immortaliser dans des « j’aime » facebookiens. Alors je quitte le site officiel des égoportraits pour emprunter un sentier qui longe le lac. Je zigzague à travers la forêt et à chaque pas, l’eau semble changer de couleur, passant du turquoise à un vert gris. Je ne regarde plus où je pose les pieds pour ne pas rater une seconde du spectacle.

Je poursuis ma montée en croisant randonneurs et chèvres de montagne. Je longe falaises et rochers jusqu’à ce que le sol soit recouvert d’un drap de neige. Les sommets rocailleux se marient aux nuages. 360 degrés de beauté. Je voudrais que mes yeux enregistrent cette image, comme une carte postale instantanée que je pourrais revisiter à chaque fois que j’attends à l’urgence par exemple…

Après 90 minutes de marche, j’arrive au camp de base historique des alpinistes. Cabane rustique à plus de 2000 mètres d’altitude, posée sur la rive d’un petit lac caché. L’endroit a été converti en salon de thé, le plus ancien et le plus élevé du pays. Déjà en 1886, on y offrait deux lits et des repas aux alpinistes téméraires. Depuis 135 ans, des hommes et des femmes viennent se ravitailler ici avant de partir affronter les glaciers. Je m’y arrête moi aussi, question de prendre un thé avec l’histoire.

À l’intérieur, le menu nous apprend deux choses. D’un, qu’il faudra se creuser le coco pour faire notre choix, car ils offrent plus de 100 variétés de thé. Et de deux, que l’endroit n'a ni eau courante ni électricité. Tout le nécessaire doit être transporté chaque jour à pied, à cheval ou en hélicoptère. C’est assez pour donner un arrière-goût glorieux à chaque gorgée.

Les photos en noir et blanc sur les murs présentent les premiers explorateurs, nos prédécesseurs. Je suis surtout impressionné par ces femmes qui escaladent les glaciers. Véritables pionnières du 19e siècle, elles affrontaient les dangers et les préjugés, en robe. Oui monsieur. Risque d’avalanche ou crevasse menaçante, rien n’empêchait la bienséance vestimentaire de s’imposer.

Je regarde un à un ces portraits de véritables héros. En l’espace d’un instant, je me sens moi aussi comme un pionnier, un Jacques Cousteau des sommets enneigés. La jeune serveuse, aux mollets d’acier en raison de sa marche quotidienne, m’apprend qu’un des sentiers continue jusqu’à la « Plaine des six glaciers ». Déjà le nom est épique. 

“Rendu au bout, en tournant sur toi-même, tu peux admirer six glaciers différents.” 

Et pour m’y rendre, j’aurai besoin d’un équipement de montagne, de réserves de nourriture, de crampons à glace, de bombonnes d’oxygène et de deux sherpas ? « C’est environ une heure de marche. » My god. Devenir un explorateur pionnier de l’histoire du Canada en 60 minutes.

J’arrive finalement aux pieds de l’immense glacier Victoria, cette énorme masse de glace sculptée à même la montagne. Autour de moi m’observent six glaciers distincts qui reposent là depuis la dernière glaciation. Ils me font paraître bien petit alors qu’ils m’encerclent de fortifications quasi impénétrables. Au moment où je prends mon téléphone, un bloc se détache d’un glacier et forme une cascade glacée. Rien de dangereux pour moi, mais rien de plus beau pour ma photo. J’immortalise la chute de neige comme si elle était prévue et que j’étais venu expressément pour cette pose. 

Je fais un dernier tour sur moi-même. Ici, au cœur de la nature et de l’histoire, j’ai l’impression que mon destin a été soufflé par le vent de la vie, comme une goutte de pluie, vers la bonne place au bon moment.

 

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