Découverte Récit de voyage Amérique Canada
Je n’aurais pas dû abandonner mon cours d’escrime au cégep. Devant moi, l’homme à la barbe rousse brandit son épée. Je me sens soudainement bien minuscule sous mon casque médiéval à nasal. Pas question de me laisser impressionner pour autant : je dégaine la mienne et m’avance vers lui, bien accrochée à mon bouclier, en poussant un hurlement plus digne d’un film d’horreur de série B que d’une brave combattante. Mon adversaire freine mon élan en moins de deux. Pas de doute : j’aurais fait une bien piètre Viking.
Vêtu d’une tunique serrée à la taille par une ceinture, le vainqueur a l’air d’un fier descendant d’Érik le Rouge. La cape au vent, il m’explique comment me battre avec un peu plus de panache. Je me demande ce que Leif Ericsson, fils du plus célèbre explorateur norvégien, aurait pensé de ces combats de pacotille un millénaire après son arrivée à L’Anse aux Meadows, à Terre-Neuve.
Le site archéologique où je me trouve permet d’avoir un aperçu du mode de vie de l’époque. À l’extrémité de la péninsule Great Northern de Terre-Neuve, la plus ancienne preuve de la présence européenne en Amérique est aujourd’hui un lieu historique national géré par Parcs Canada. Les habitations recouvertes de gazon sont bien sûr des reconstitutions et les Vikings, des comédiens. N’empêche, me tenir à l’endroit même où des marins scandinaves venus du Groenland ont érigé un petit campement au 11e siècle me remplit d’émotions.
Inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1978, le site permet de voir des vestiges de cette époque sur fond d’impressionnantes falaises et de tourbières. C’est précisément pour voir, mais surtout « ressentir » cet endroit que j’ai rêvé de ce voyage à Terre-Neuve. Le vent vif qui fouette mon visage me rappelle que la réalité a aussi des propriétés… décoiffantes.
Malgré leur réputation de barbares sanguinaires, les Vikings m’ont toujours fascinée. Cette vie d’aventures contre vents et marée, à une époque où tout était encore à découvrir, m’apparaît aussi terrifiante qu’agreste. Qu’un certain Christophe Colomb, arrivé en Amérique 500 ans après eux, ait été la vedette de mes cours d’histoire m’a toujours tellement révoltée !
J’ai débuté mon voyage à Deer Lake quelques jours plus tôt. Une randonnée au Parc national du Gros-Morne m’a rapidement fait réaliser le potentiel de dépaysement de cette province dont j’avais à peine foulé le sol quelques années auparavant, lors d’une escale à St John's. Comment pouvais-je me sentir si loin de Montréal alors que j’étais à deux petites heures d’avion ? Vaste terrain de jeu, le parc national propose une incroyable diversité de paysages sur 1 805 km2.
Les Tablelands m’ont laissée sans voix. J’avais sous les pieds le résultat de la collision des plaques tectoniques il y a 500 millions d’années. C’était carrément le manteau, normalement caché sous la croûte terrestre qui se déployait devant mes yeux écarquillés. Les paysages lunaires contrastent avec le vert vif du versant opposé de la montagne.
Entre les vallées, les plages, la végétation, le littoral et ses impressionnantes sculptures naturelles, ma mâchoire s’est décrochée à quelques reprises. Une croisière sur l’étang Western Brook m’a aussi permis de m’enfoncer dans le majestueux fjord.
Il ne faut toutefois pas sous-estimer les distances. L’Anse aux Meadows se trouve à plus de cinq heures de Deer Lake. Pendant une grande partie du trajet, on risque davantage de croiser des orignaux que des humains. D’ailleurs, sur la route 430, un panneau de signalisation nous rappelle qui est le plus fort : un gigantesque orignal emboutissant une voiture.
Bien que l’image fasse sourire par son caractère caricatural, le risque est bien réel. Mon guide m’a avoué ne jamais rouler dans les parages la nuit, les phares pouvant surprendre l’orignal et causer un accident fatal.
Je quitte L’Anse aux Meadows avec l’impression de revenir d’un long voyage dans le temps. Au-delà de l’archéologie, il y a aussi le mythe. Celui du Vinland, cette mystérieuse contrée mentionnée dans de vieux manuscrits islandais.
À 45 minutes du Lieu historique de L’Anse aux Meadows, St. Anthony fait place à un tout autre type de décor. C’est ici que j’aperçois mes premiers icebergs. Bien que leur taivlle soit moins impressionnante à la fin de l’été, impossible de rester… de glace. Surtout en les apercevant à travers les maisons colorées et les cordes à linge !
J’attrape un petit bout de glacier échoué sur la plage. « Goûte ! » me lance mon guide, qui m’apprend du même souffle qu’on vend son eau à gros prix de l’autre côté de l’Atlantique et que Quidi Vidi Brewery produit une bière à base d’eau d’iceberg. Je me demande ce qu’auraient pensé les Vikings…
Je croque un petit bout de glace avant de reprendre la route. Un popsicle créé il y 10 000 ans, qui dit mieux pour conclure un voyage aussi fantastique ?
P.S. Mangez des pétoncles le plus souvent possible lors d’un séjour à Terre-Neuve. MIAM !
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Autrice, journaliste et chroniqueuse, Marie-Julie Gagnon gravite dans le monde des médias depuis plus de 25 ans. Elle a publié une douzaine de livres, dont Voyages de rêve en train – 50 itinéraires autour du monde (coécrit avec Anne Pélouas et Julie Brodeur), Que reste-t-il de nos voyages?, Cartes postales du Canada et le collectif Testé et approuvé : le Québec en plus de 100 expériences extraordinaires. Elle collabore actuellement au site Avenues.ca, au cahier Plaisirs du quotidien Le Devoir, à Moteur de recherche, à ICI Radio-Canada Première ainsi qu'à différents magazines.
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